Michel Marcilly se souvient dans le détail du 29 août 1944 quand des soldats allemands ont exécuté 50 hommes de son village. Événement commémoré tous les ans.

« Article de François-Xavier GRIMAUD – 30 août 2017″ ; L’Est Républicain

« Photo de Jean-Noël PORTMANN« 

« J’ai 84 ans, je vais sur mes 85. » Michel Marcilly en avait 11 lors du massacre de la vallée de la Saulx qui ont fait 86 victimes le 29 août 1944. « Je me souviens. À cet âge, on se rappelle de tous les détails », confie cet ancien agriculteur, qui a toujours vécu à Robert-Espagne, le village où cinquante hommes ont été exécutés – un autre sera tué le lendemain en lisière de forêt de Trois-Fontaines. Ce n’est pas sans émotion qu’il raconte, ses yeux brillants le confirment.

Fils de paysan, il allait habituellement garder les bêtes dans les champs durant les vacances, mais ce jour-là, son père avait préféré qu’il reste à la maison. Par sécurité, alors qu’on observait beaucoup de mouvements de troupes en pleine débâcle des occupants. « Lui était parti labourer là où se trouve le Tertre des fusillés, une parcelle à côté. »

Arrivés à 9 h, les Allemands ont pris possession du château en face. « Ils venaient de se faire attaquer au pont de la Belle-Epine », sait Michel Marcilly. « Ils s’amusaient à tirer au-dessus de la tête de papa pendant qu’il travaillait. Aussi a-t-il décidé de revenir de bonne heure… Nous avons mangé tôt. » Outre ses parents, il y avait à table sa petite sœur et un cousin.

Pour le déjeuner, de la soupe au lard avec des légumes avait été préparée. « Comme je ne voulais pas en manger – le lard me faisait lever le cœur -, mon père m’a envoyé dans la cour. Sorti dans la rue, je suis tombé sur mon copain André Fraiche qui courait. Il avait vu les Allemands avec des mitraillettes qui faisaient marcher les hommes devant eux, et il se pressait d’avertir son père. Je suis rentré pour prévenir le mien. » Ni une ni deux, celui-ci s’est enfui à travers un parc, avec le cousin, pour se cacher dans la forêt proche. « Ma mère a eu la présence d’esprit de cacher les assiettes. Quand les Allemands ont pénétré chez nous, ils n’ont pas fouillé, ils ont juste regardé à droite et gauche. Sans demander s’il y avait des hommes. »

« Le coup de grâce, je ne savais pas ce que c’était »

Pas de chance pour Pierre Fraiche et André Tabary, le père de l’épouse de M. Marcilly, Nicole : ils ont été raflés tous les deux de l’autre côté de la rivière, mis en joue par le passager d’un side-car qu’ils ont croisé alors qu’ils cherchaient à filer. « On leur tirait des petites rafales devant les pieds pour les faire avancer au galop. Comme ils portaient des souliers à clous, je les entendais. J’ai encore ça dans la tête. »

Comme beaucoup de monde, Michel Marcilly avait trouvé refuge dans un fossé. C’est de là qu’il a aperçu des soldats mettre le feu à la première ferme. « Le village a brûlé à 90 %. » Quand il a quitté sa cachette pour cueillir des pommes parce qu’il avait faim, ont retenti les trois mitrailleuses fusillant quarante-neuf innocents aux abords de la petite gare. « Ça n’a pas duré trois minutes, mais ça m’a semblé être un quart d’heure. » Il reste marqué par les coups de feu pour les achever. « Le coup de grâce, je ne savais pas ce que c’était. » Le beuglement des bovins prisonniers des flammes formait un écho assourdissant.

« Ça a pris dix ans avant de remonter notre ferme ».

Les Allemands ne sont repartis que le lendemain. Il fallait quasiment tout reconstruire

Ce n’était pourtant pas le souci le plus urgent. « Le 31 août, on est allés voir les hommes qui avaient été abattus. Ils étaient allongés, on les a reconnus. » Ils ont été inhumés provisoirement dans une tranchée, enveloppés dans un drap blanc. « On les a exhumés ensuite pour les mettre dans un cercueil – on en descendait cinq-six chaque jour – et les passer à l’église. » Tous n’ont été enterrés au tertre où est érigé le monument du souvenir de ces terribles événements. Où a lieu chaque année une cérémonie commémorative à laquelle Michel Marcilly assiste : « Les deux seules années où je l’ai loupée, c’était quand je faisais mon service militaire. »