Attich, duc d’Alsace avait une épouse d’une beauté et d’une amabilité extrêmes; rien ne manquait à son bonheur si ce n’est la douceur des joies paternelles. Il désirait ardemment un descendant, et ne cessait de demander au Ciel cette bénédiction conjugale. Ses vœux cependant semblaient ne devoir jamais s’accomplir. Un jour, après avoir prié avec plus de ferveur qu’à l’ordinaire, il promit de vouer au service du Seigneur l’enfant que le Ciel lui accorderait. Sa prière fut enfin exaucée. La duchesse sentit qu’elle allait devenir mère et accoucha enfin d’une gentille fillette qui, au baptême, eut le nom d’Odilia. La joie que les parents concurrent à la naissance de cette enfant ne pouvait être complète; on eût dit que le Ciel se réservait un gage pour l’accomplissement du vœu qui lui avait été adressé; la petite fille était aveugle.

Cependant Odilia grandissait et développait chaque jour plus de charmes. Toutefois sa beauté était éclipsée par les avantages du cœur et par des sentiments de profonde piété. Ses dernières qualités augmentant tous les jours, elle devint la joie de toutes les bonnes âmes. Comme la vue lui manquait elle ne pouvait avoir que des idées imparfaites de la nature et du monde extérieur. Plus on fit à Odilia de descriptions ravissantes de la magnifique création de Dieu, plus elle fut affligée de sa cécité. Mais chaque fois qu’elle se désolait ainsi, elle avait recours à la prière, demandant, avec une confiance enfantine, au Tout-puissant de lui accorder le bonheur de pouvoir contempler ce bel univers. Ce que personne n’avait espéré, arriva: Le ciel fit un miracle, Odilia recouvra la vue. Les parents furent au comble de la joie. Ils rendirent des actions de grâce éclatantes de ce bonheur inattendu à la souveraine bonté et puissance divine.

Hélas, l’homme n’est que trop enclin à se dérober aux engagements qu’il a contractés, et à violer une promesse qu’il a donnée, lorsque la condition de son vœu se trouve accomplie. Depuis qu’Odilia jouissait de la lumière du jour, et que l’éclat de ses yeux venait augmenter les charmes de la belle vierge, il y eut plus d’un jeune seigneur qui aspira à la posséder. Les offres les plus honorables furent faites à la fille unique du prince opulent, et le duc regretta, plus d’une fois, d’avoir voué son enfant au service du Seigneur. Pendant assez long-temps, Attich eut soin de laisser ignorer ce changement survenu dans sa manière de voir; mais lorsque le comte Adelhart, excellent chevalier auquel il devait beaucoup, vint, en échange de ses services, lui demander la main d’Odilia, le duc ne crut pas devoir observer davantage son vœu, et il accorda au comte la faveur que celui-ci espérait.

La pieuse vierge apprit avec effroi qu’elle devait se marier. Elle avait espéré, conformément à ses goûts et à sa première destination, pouvoir être reçue bientôt dans un convent, et elle s’opposait d’autant plus fortement aux desseins de son père qu’elle les croyait plus contraires à ceux de Dieu. Aussi osa t’elle représenter au duc ses torts et lui faire connaître un refus formel. Mais lorsqu’elle vit qu’on allait procéder aux moyens de violence, elle s’échappa du château et s’enfuit dans la forêt voisine, espérant y demeurer cachée. Bientôt cependant on sut la direction qu’elle avait prise, et Attich se mit en route avec tous ses domestiques et ses valets de chasse pour s’emparer d’elle. De loin elle entendit ses persécuteurs. Pareille à une biche lancée, elle se jette dans le taillis le plus épais, mais enfin ses pas sont arrêtés par un rocher large et escarpé. Déjà son père avec ses valets est près d’elle; la vierge se jetant à genoux, implore le secours du Ciel, et tout-à-coup le roc s’ouvre, reçoit la fuyarde et se referme sur elle.

Tous les spectateurs de cette scène furent pétrifiés d’étonnement et d’admiration ; le duc ne fut pas moins surpris que ses gens, et sa conscience se réveilla aussitôt. Il reconnut ses torts. Pendant qu’il admirait encore le rocher qui recélait Odilia, la voix virginale sortit des pierres: „Mon père,“ s’écria-t-elle, „si tu veux encore me revoir, remplis exactement ta promesse; si tu persistes dans l’intention de me marier, je te suis à jamais enlevée.“

Attich reconnaissant alors que sa fille était irrévocablement destinée au ciel, jura qu’il se conformerait à l’avenir à la décision céleste. Aussitôt le rocher s’ouvrit de nouveau et Odilia en sortit.

En mémoire de cet évènement miraculeux et en expiation de son crime, le duc fit élever, à l’endroit où la pieuse jeune fille avait été enlevée à ses persécuteurs, un couvent dont Odilia devint la première nonne, Plus tard elle en devint l’abbesse.

Après sa mort, elle a été mise au nombre des saintes par le saint pontife.

Monde Légendaire