La tuerie
Robert-Espagne est le premier bourg à subir cette tragédie. Vers 11h, des soldats bloquent tous les accès à la localité. On ne peut plus ni y entrer, ni en sortir.
Puis une trentaine de militaires commence par rassembler les hommes du haut du village. Ils se saisissent même du chef de la brigade de gendarmerie, de son fils et de deux gendarmes. Lorsqu’ils arrivent au centre de l’agglomération, il est presque midi. On surprend les hommes au repas familial. Le bas du village n’est ratissé qu’après 12h30, après l’arrivée d’un camion amenant une quinzaine de soldats, venant en renfort de Beurey. A cette heure, l’effet de surprise ne joue plus. Il est vraisemblable également que parmi les nouveaux arrivants se trouvent des incorporés de force qui avertissent les habitants du danger. Toujours est-il qu’un grand nombre de villageois se sauvent dans la forêt toute proche. Il n’y aura que 4 victimes dans ce quartier… Par contre 50 hommes de 17 à 59 ans sont amenés près de la gare. On les aligne au pied du talus ferroviaire, face à deux mitrailleuses.
Parmi les tireurs désignés, se trouve Xavier Sonnenmoser, un incorporé de force alsacien de la classe 1922, originaire sans doute de Schweighouse-sur-Moder, « qui refuse de tirer sur des Français » (1), ce qui lui vaudra l’arrestation immédiate et la menace du passage devant le tribunal militaire (2). Il est remplacé par un « Reichsdeutsche Soldat » (un Allemand d’origine).
A 15 h de l’après-midi, sur ordre donné, les mitrailleuses crépitent. Les soldats forcent même les femmes qui habitent à proximité de la gare à défiler devant les cinquante cadavres… Puis à l’aide de plaquettes de phosphore, ils incendient la localité. Sur les 300 maisons que comptait le bourg, 200 sont réduites en cendre…
Au village voisin de Berey-sur-Saulx, un groupe de militaires s’installe vers 13h, parmi eux figurent quelques incorporés de force qui instantanément avertissent la population de la nécessité de fuir au plus vite. M. Jean Altemaire se souvient de sa mésaventure qu’il pensait lui être fatale. En effet, vers 13h 30, comme agent de liaison du maquis, il sort de la forêt des Trois Fontaines en vélo, ayant sur son porte-bagage un panier en osier, selon son habitude, pour chercher du ravitaillement à Beurey. Mais en contournant le mur du cimetière, il se trouve nez à nez avec une sentinelle allemande qui lui barre le chemin. La surprise est totale. Instinctivement, il freine brusquement en rétropédalant, ce qui provoque le dérapage de son vélo. Il chute et de son panier tombe son pistolet qui roule jusqu’au pied de l’Allemand. Le maquisard crût alors sa dernière heure venue… Mais à sa grande surprise, le militaire d’un coup de pied écarta l’arme tombée et lui adressa la parole dans un français avec un fort accent germanique : « Je suis Alsacien, incorporé de force ; il faut dire aux hommes du village de se sauver si non ils seront tous fusillés… Vite ! Schnall ! c’est urgent ! » M. Jean Altemaire ne demanda pas le reste ! Il ramassa promptement son panier, sauta sur son vélo et pédala le plus vite possible en direction du village. A toute personne qu’il rencontra, il transmit la consigne : « les hommes doivent se sauver ! ». Certains individus étaient déjà au courant, d’autres incorporés de force Alsaciens ou Lorrains, les avaient avertis. Néanmoins, il y eu sept victimes, des personnes âgées et 75 maisons sur la centaine que totalisait le village, partirent en fumée.
A Couvonges, une commune d’à peine 150 habitants, les arrestations ont lieu l’après-midi. Au total 23 hommes sont retenus prisonniers dans une grange pendant qu’on met le feu au village. Vingt d’entre eux sont amenés sur un pré à la sortie de l’agglomération, vers Berey et fusillés sur place. La moitié de la population masculine de la localité a ainsi disparu. Sur 60 maisons, seules 6 échappent aux flammes ainsi que l’église…
Pour Mognéville, les arrestations débutent dès 10h30 du matin. Elles sont opérées par une trentaine de soldats. Le notaire de Revigny, Me Rouy, Mosellan d’origine et parlant l’allemand, entame un dialogue avec le jeune sous-lieutenant Edmund Fritsch qui les commande. Les ordres que ce dernier a reçus sont formels : il faut détruire le village et fusiller tous les hommes. Me Rouy avec l’appui d’un Alsacien originaire sans doute de Strasbourg, Alfred Schaeffer, incorporé de force, réussit à limiter le drame. Les hommes sont relâchés mais à 22h seulement, c’est-dire l’âpreté des négociations. Ils se sauvent et se cachent au plus vite. Quelques maisons seulement sont incendiées. Toutefois, malgré tout, trois personnes y perdent la vie.
La journée du 29 août 1944 aura fait 86 morts dans la population civile de la vallée de la Saulx.
Des blessés décèderont encore les jours suivants. Le chiffre des victimes peut donc être porté à 88 victimes. Plus de 330 maisons ont été détruites.
L’attitude des incorporés de force
Quel rôle ont joué les incorporés de force lors de ce massacre ? Il est démontré qu’ils ont essayé de sauver des vies humaines. Cela a été un choix. Plutôt brûler des maisons que de porter atteinte à des vies. Ils n’ont pas réussi à empêcher la commission des crimes de guerre mais ils sont parvenus à en atténuer l’ampleur. M. Jean-Pierre Harbulot, historien qui a analysé ces événements, considère également, que « le bilan aurait été beaucoup plus lourd si des soldats allemands, le plus souvent alsaciens ou mosellans, n’avaient pas invité la population à fuir ou si des Français parlant l’allemand n’étaient pas intervenus…en faveur de leurs compatriotes ». Ils ont donc fortement contribué à atténuer les conséquences de cette tragédie. Certes, ils ne furent pas les seuls à intervenir et heureusement car la portée de leurs actes aurait été moindre en agissant isolément. Deux soldats allemands d’origine et au moins un Autrichien adoptèrent la même attitude et contribuèrent à saboter l’ordre reçu. Il n’empêche que leur action a été déterminante.
Pourquoi alors, ce qui s’est produit pour la vallée de la Saulx, n’a pas pu fonctionner à Oradour-sur-Glane ? D’abord on oublie trop souvent que même à Oradour quelques vies ont pu être épargnées, grâce à des militaires notamment des incorporés de force mais pas dans les mêmes proportions. Cela est dû à trois raisons majeures : en premier lieu, il faut mentionner que pour la vallée de la Saulx, la troupe, le soldat sans grade, savait avant le début de l’opération, qu’il devait collaborer à un massacre. Cela laisse le temps de se concerter, de discuter et donc de décider d’une attitude collective. Il ne fait aucun doute que les incorporés de force se connaissaient et connaissaient l’orientation idéologique des uns et des autres. Ce n’était pas leur premier engagement militaire. En second lieu, il faut souligner que ces soldats aguerris étaient des adultes qui savaient prendre leurs responsabilités et non des mineurs de 17 ans comme à Oradour. Enfin et surtout, il s’agit d’une unité de la Wehrmacht et non de la Waffen-SS. Cela change tout au point de vue instruction, mentalité dominante et discipline… Une troupe d’élite doit être exemplaire en tout.
Toutefois des précisions devraient encore être apportées à ces faits. Dès lors, il serait de la plus haute importance que l’on dispose de plus de renseignements sur l’intervention des incorporés de force Alsaciens et Mosellans dans cette affaire. Si des lecteurs devaient s’y reconnaître ou peuvent identifier certains parmi eux, il serait très utile de se manifester afin d’éclaircir le comportement de chacun dans cette tragédie qui demeure malheureusement un véritable massacre.