Lithium en France

La mine de kaolin à Beauvoir, dans l’Allier.© Abaca

Plus de 40 gisements seraient porteurs de lithium en France. De quoi largement réduire notre dépendance à la Chine sur ce minerai essentiel à la production de batteries électriques. Mais encore faut-il pouvoir les exploiter à un coût raisonnable.

Au cœur des bois, la mine de Beauvoir attend sagement son heure. A quelques pas d’Echassières, dans l’Allier, la présence d’une roche blanche pourrait bientôt bouleverser la vie de ses habitants. D’après les premières recherches menées par Imerys, le sous-sol de cette carrière, exploitée pour son kaolin depuis 1859, recèlerait une densité importante de lithium. “Ce n’est pas une surprise”, confie un porte-parole du groupe. Le petit village bien paisible de moins de 400 habitants serait assis sur l’un des principaux gisements d’Europe, identifié dès les années 1980. Et Imerys, propriétaire de la mine, se voit déjà extraire 34.000 tonnes de lithium par an à partir de 2028.

Sa production serait suffisante pour équiper “l’équivalent de 700.000 véhicules électriques”, selon le groupe minier. Une prévision qui doit être prise avec prudence: aucun permis d’exploitation n’a pour le moment été accordé à Imerys. Dans cette petite commune du Bourbonnais, les riverains se demandent comment cette mine pourra s’approvisionner en eau pour purifier le minerai. Et l’acheminer en sous-sol, comme l’a promis Imerys. Une étude hydrologique est en cours, alors que cinq réunions publiques ont déjà été organisées à Echassières. Une exigence fixée par l’Initiative pour l’assurance d’une extraction minière responsable (Irma), lancée en 2006 par un groupe d’entreprises et d’ONG. “Cette norme nous oblige à une transparence absolue”, assure la direction d’Imerys.

Est-ce le retour des mines dans l’Hexagone? Pendant plus d’un siècle et demi, l’or et l’arsenic ont fait la fortune de l’Aude. L’uranium était extrait dans le Limousin. Et le charbon tiré au chariot dans les bassins de houilles. De cette tradition minière, il ne reste aujourd’hui que des puits béants, le plus souvent, et quelques terrils couverts d’herbes folles. En 2004, la dernière mine de charbon fermait à Creutzwald (Moselle). Les géants miniers s’étaient alors tournés vers la Nouvelle-Calédonie et la Guyane, délaissant la métropole et son glorieux passé industriel.

C’était compter sans le récent changement de discours opéré par le gouvernement. “En France, nous n’avons pas de pétrole, mais nous avons du lithium”, déclarait en octobre dernier le président Emmanuel Macron, plus giscardien que jamais. La petite phrase, lâchée sur France 2, ne manquera pas de faire mouche. Au même moment, le gouvernement ne ménage pas ses efforts.

Pour préparer les esprits, ce sont trois ministres, dont celui de l’Economie, Bruno Le Maire, qui se retrouvent mobilisés pour apporter leur soutien au projet d‘Imerys. “Un dossier important”, estime le cabinet d’Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition énergétique, qui rappelle le “souhait fort” du gouvernement “d’explorer nos sous-sols pour réduire notre dépendance en métaux critiques à l’étranger”.

Une dépendance à la Chine à réduire d’urgence

L’heure est grave. La Chine raffine aujourd’hui 60% du lithium mondial alors que de plus en plus d’acteurs industriels dépendent de son approvisionnement (lire l’encadré ci-dessous). Mi-décembre, le prix d‘une tonne de carbonate de lithium à la sortie d’une usine chinoise s’échangeait à 72.800 euros, soit dix fois ce qu’il en coûtait il y a trois ans pour le même volume. Et la Chine concentre également 77% des capacités de production des cellules de batteries. Une équation affolante pour de nombreux secteurs, à commencer par les constructeurs automobiles, mis sous pression par la Commission européenne pour supprimer les moteurs thermiques en 2035.

Le tarif à la sortie d’une usine chinoise s’est multiplié par dix en trois ans, pour atteindre 72.800 euros.

© Fournis par Challenges

Et les besoins sont exponentiels. La France ne produit quasiment pas de lithium, mais elle en consomme plus de 15.000 tonnes par an. Un métal léger, que l’on retrouve dans les batteries de smartphones, de tablettes ou des véhicules électriques. Il en faut par exemple plus de 10 kilogrammes pour fabriquer la batterie d’une Tesla. “Si nous restons sur cette trajectoire, la production réservée aux seules batteries de véhicules électriques en 2040 correspondra à huit fois la production mondiale actuelle”, avertit l’ingénieur géologue Judith Pigneur, membre de l’association négaWatt, qui s’appuie sur les scénarios fournis par l’Agence internationale de l’énergie.

Par chance, le lithium ne manque pas. Il est essentiellement importé de trois pays: l’Australie, le Chili et la Chine. Un cycle coûteux pour l’environnement, puisque 1 tonne de carbonate de lithium produite dans le circuit actuel dégagerait l’équivalent de 15 tonnes de carbone dans l’atmosphère, selon les calculs du cabinet d’études londonien Minviro. Pour ne pas s’enterrer dans une nouvelle dépendance, il y a donc urgence à rapatrier la production en Europe. La Commission européenne y travaille et devrait publier dans les prochains mois une feuille de route sur les matières premières sous le nom de Critical Raw Materials Act.

41 gisements potentiels en France

Pour des raisons économiques, la présence de lithium a été jusqu’à présent négligée sur le sol européen. La France est pourtant bien pourvue. Avec le Portugal, elle serait même l’un des territoires les plus riches du continent. “Contrairement à d’autres minerais, comme le cobalt ou le nickel, le lithium n’est pas un métal rare”, indique Blandine Gourcerol, ingénieure et chercheuse au Bureau des recherches géologiques et minières (BRGM). “On en trouve des occurrences dans les massifs anciens, comme le Massif central, ou en bordure du Massif armoricain”, poursuit Romain Millot, son collègue, lui aussi géologue au BRGM. En 2018, les deux chercheurs ont répertorié 41 gisements susceptibles d’être porteurs de lithium en France. Ils estiment à 458.895 tonnes les capacités potentielles du sous-sol métropolitain, soit moins de 1% des réserves mondiales connues.

Mais encore faut-il pouvoir les exploiter à un coût raisonnable”, relativise un industriel français. Car pour atteindre une “qualité batterie”, le carbonate de lithium doit d’abord être transformé sous forme de sels, appelés hydrolites. Un savoir-faire absent de l’Hexagone, même si la France rattrape son retard. A Lauterbourg, dans le Bas-Rhin, la jeune société Viridian, filiale du groupe australien Infinityprévoit ainsi d’ouvrir un premier site de raffinage en 2025. Un territoire où se concentrent la plupart des projets de la filière. A ce jour, au moins quatre permis exclusifs de recherche de lithium y ont déjà été accordés.

La plupart des projets se concentrent en Alsace, où au moins quatre permis exclusifs de recherche ont été accordés.

© Fournis par Challenges

En plus d’une vieille tradition minière, le Bas-Rhin bénéficie de la présence d’une forte activité géothermique. “On arrive aujourd’hui à capter le lithium piégé dans les eaux souterraines, explique Jean-Jacques Graff, président de l’Association française des professionnels de la géothermie (AFPG). L’eau est pompée à deux ou trois kilomètres de profondeur, puis remontée au niveau d’un puits où l’on filtre les ions de lithium.” Un procédé doublement efficace, puisqu’il permettrait d’allier la récupération de chaleur à l’extraction du précieux minerai. Et une méthode “assurément plus responsable en termes d’impact environnemental”, défend Jean-Philippe Gibaud, président de la start-up Geolith, qui a développé sa propre technologie d’échanges d’ions en laboratoire.

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Mais ces “pièges à lithium” demandent encore à être perfectionnés. A ce jour, seul Eramet peut se vanter d’avoir extrait les premiers grammes de lithium alsaciens à Rittershoffen. Depuis un an, le géant minier français “étudie un modèle pour industrialiser ce procédé”, en partenariat avec Electricité de Strasbourg, filiale d‘EDF. Car la rentabilité devra être au rendez-vous. Sur le site de Beauvoir, Imerys vise un coût de production “entre 7 et 9 euros du kilo d’hydroxyde de lithium”, contre 70 euros au prix du marché actuel. Produire du lithium à moins de 10 dollars? Un objectif indispensable pour “convaincre les investisseurs”, insiste Jean-Philippe Gibaud, qui a engagé une levée de fonds de 30 millions d’euros pour lancer la première usine de Geolith à Haguenau.

En Europe, peu de projets sont encore sortis de terre. Les oppositions locales restent fortes. En janvier 2022, en Serbie, des manifestations géantes ont fait annuler le projet d’extraction de lithium porté par le conglomérat anglo-australien Rio Tinto. Le même scénario menace les plans de la société anglaise Savannah Ressources à Covas do Barroso, au Portugal. La population locale s’oppose à l’ouverture d’une mine géante dans cette région rurale située au nord du pays. En France, un délégué interministériel aux approvisionnements en minerais et en métaux rares a été nommé le 10 décembre dernier. Sa mission: déminer, avant de laisser creuser.

La Chine, reine du lithium

Ce n’est plus à ses réserves de pétrole que l’on mesure l’échelle d’une puissance, mais à ses ressources en métaux critiques. Et sur ce plan, la Chine est ultradominatrice. En moins de dix ans, elle a fait main basse sur la plupart des réserves en lithium de la planète. D’après Bloomberg New Energy Finance, 60% de la production mondiale serait raffinée dans le pays.

En rachetant des participations dans les mines de la SQM au Chili ou encore du géant australien Talison Lithium, le groupe Tianqi Lithium s’est imposé comme un leader mondial de la production. Des cargos entiers sont acheminés dans ses usines à Anju (Sichuan), et dans celles de son concurrent Jiangxi Ganfeng Lithium, pour être transformés en composants de batteries.

Introduit en Bourse à Hong-kong en juillet dernier, Tianqi Lithium a distancé les géants américains Livent (ex-FMC) et Albemale. Un avantage qui pourrait se révéler stratégique dans la transition vers les énergies vertes. A l’inverse, l’Union européenne importe la quasi-intégralité de ses ressources en lithium. Une situation à très haut risque pour le Vieux Continent. Sur 200 projets de méga-usines prévus pour 2030, 148 se trouvent en Chine, et seulement 21 en Europe, note le cabinet Benchmark Mineral Intelligence.

Article de David Pargamin

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